Napoléon Peyrat

L’historien des camisards et des cathares,
par Patrick CABANEL

Napoléon Peyrat est né en Ariège en 1809. Devenu en 1831 pasteur des Églises réformées, au terme de ses études à la Faculté de théologie alors située à Montauban, il ne prend pas en charge une paroisse, mais s’abandonne, pendant douze ans, à sa seconde passion, l’histoire et la littérature. Ce n’est qu’en 1847 qu’il est consacré au pastorat et s’installe à Saint-Germain-en-Laye, où il fonde quasiment de toutes pièces une paroisse protestante très active. L’histoire reste cependant son exigeante compagne, et lui vaut de n’être jamais tombé dans l’oubli, en dépit de périodes d’éclipse. Peyrat est le type même de l’historien romantique, comme le XIXe siècle en a tant connus : il se passionne pour les rebelles, les hérétiques, les vaincus, et raconte leur épopée dans une langue souvent magnifique, qui reste aujourd’hui l’un de ses attraits. L’historien, du reste, était également poète : il a publié plusieurs recueils, dont certaines pièces, inspirées par la légende de Roland ou les psaumes de la Bible, supportent la comparaison avec bien des œuvres poétiques de son siècle. On pourra s’en persuader en lisant une anthologie récente, les Poèmes pyrénéens, chez Lacour (Nîmes, 1999).

Voici, à titre d’exemple, et parce que nous lisons trop peu de poésie aujourd’hui, cette strophe tirée de Ruine de Jérusalem. Le psalmiste y interpelle Dieu sur son silence face à la détresse de son peuple :

Fouleront-ils longtemps ta gloire dans la poudre

Avec ton peuple saint ?

Laisseras-tu longtemps ton bras où dort ta foudre

Replié sur ton sein ?

Peyrat a pratiqué une histoire "généalogique" : il était en quête de ses ancêtres par la foi ou le sang, selon une de ses formules, et entendait les rendre à la vie, contre les oppressions, les massacres et les silences entretenus. Proche du poète anticlérical Béranger, puis de Michelet, qui reconnaissait une dette à son égard, il s’est d’abord intéressé aux protestants du XVIIe et du XVIIIe siècles, et particulièrement aux Cévenols et aux Camisards. Il a puissamment contribué à les réhabiliter, alors qu’une partie des élites protestantes de son temps appréciaient assez peu ces rebelles passés par les troubles du prophétisme et les déchaînements de la violence. Son premier grand livre, paru à Valence en 1842, Les pasteurs du Désert, marque une date dans la réappropriation par les protestants de leur passé camisard. Philippe Joutard y a insisté dans sa Légende des Camisards (Gallimard, 1977). On rappellera que Peyrat a été plus tard, à la veille de sa mort, le premier à inscrire son nom sur la souscription destinée à permettre le rachat de la maison natale de Rolland, devenue aujourd’hui le Musée du Désert.

Derrière les camisards, c’est aux cathares que Peyrat entendait offrir sa vie de chercheur. Ariégeois, il était persuadé de leur être rattaché par une filiation directe. Il leur consacre quarante ans de travaux, et publie à partir de 1870 cinq volumes (le dernier est posthume) consacré à leur religion et à leur tragédie au moment de la croisade contre les Albigeois. C’est Peyrat qui fait du vieux castrum de Montségur le symbole de la résistance, de la fidélité et du sacrifice cathares : en d’autres termes, il invente ce qui est devenu un lieu de mémoire mondialement célèbre. En revanche, Peyrat s’est refusé à s’engager dans des rêveries séparatistes : bien que pratiquant l’occitan (des lettres conservées à Toulouse, au Collège d’Occitanie, en témoignent), il écrit en français, considérant que c’est la langue de la liberté. Ce patriote que la défaite de 1870 a douloureusement marqué, salue la France républicaine, dont il estime qu’elle est l’héritière des vaincus du Moyen Age ou du XVIIe siècle. Cathares, camisards, révolutionnaires, républicains : telle est la généalogie qu’il a cherché à restaurer.

On redécouvre depuis quelques années la vie et l’œuvre de Peyrat, partiellement rééditée chez Lacour, à Nîmes. On trouvera aux Presses du Languedoc, à Montpellier, un ouvrage collectif qui lui est consacré, et qui comprend notamment d’importants textes autobiographiques, sur sa jeunesse comme sur l’année 1870. La bio-bibliographie qui suit est tirée de cet ouvrage (Patrick Cabanel et Philippe de Robert, Cathares et Camisards. L’œuvre de Napoléon Peyrat (1809-1881), préface de Philippe Joutard, 1998, 263 p., 140 F.).

 


Bio-bibliographie de Napoléon Peyrat
(1809-1881)

(extrait de P. Cabanel et Ph. De Robert, dir., Cathares et Camisards, Presses du Languedoc, 1998)

1809 (20 Janvier) Naissance de N. Peyrat aux Bordes-sur-Arize (Ariège)

1811 Mort, en couches, de sa mère, Marguerite Gardel (née en 1776)

1813 Mort de son frère, Narcisse (né en 1811)

1814 Témoin de la Terreur Blanche aux Bordes

1823 (novembre)-1825 Interne à l'institution dirigée par son parent, le pasteur Rosselotty, à Châtillon-sur-Loire (Loiret)

1825 (novembre)-1831 (mai) Étudiant à la Faculté de théologie protestante de Montauban

1826 (août) Baccalauréat ès lettres

1830 Enthousiasme à l'annonce de la Révolution de Juillet

1831 (21 février) Soutenance à Montauban de sa thèse de baccalauréat en théologie, Du Christianisme au XIXe siècle , Montauban, Lapie-Fontanel

1831 (juin) Installation à Paris

1831-1842 Renonce à des études de médecine pour l'histoire en autodidacte. Vie de bohême. Devient un familier du poète Béranger, auquel il dédie son premier poème, "L'Oiseau du Ciel" (publié plus tard dans Les Pyrénées). Divers préceptorats

1832 (mars à mai) Tient son journal: "Deux mois avec Béranger", publié dans Les Lettres françaises, 24 et 31 janvier et 7 février 1952

1833 Premier poème publié, "Roland", sous la signature de Napol le Pyrénéen, dans Ajasson de Grandsagne, Poètes français vivants, Paris, Bibliothèque populaire. Rééditions en 1863, 1872, 1877 (dans Les Pyrénées), 1905, traduction anglaise en 1876

1836-1837 Rencontre Lamennais. Rédaction des Pasteurs du Désert

1837 (août) Voyage-pèlerinage dans les Cévennes lozériennes (de Mende au mont Bougès). Manuscrit conservé à la Bibliothèque de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français (mss 355)

1842-1847 Précepteur dans une famille protestante du Bordelais. En 1845-1846, déclaré maître de pension, 37 cours d'Albret, à Bordeaux, en remplacement de Malvezin

1842 Histoire des Pasteurs du Désert depuis la Révocation de l'édit de Nantes jusqu'à la Révolution française, 1685-1789, Paris, Valence, Marc-Aurel frères, 2 vol. (traduction anglaise à Londres en 1852, The pastors in the wilderness)

1843 Entreprend l'histoire des Albigeois

1847 (25 août) Reçoit la consécration pastorale, à Paris. Nommé pasteur-auxiliaire à Saint-Germain-en-Laye

1851 (23 juin) Mariage avec Eugénie Poiré (1833-1891), nièce du maréchal Randon. Dont quatre enfants: Adeline (1852-1866), Marguerite (1853-1931), Louise (devenue soeur Thérèse de Jésus, carmélite à Rome, 1856-1917) et Léon (1858-1922)

1854 Pasteur titulaire à Saint-Germain-en-Laye

1855 Histoire de Vigilance, esclave, prêtre et réformateur des Pyrénées au Ve siècle, Paris, Grassart

1857 "Le capitaine Dusson, ou le siège du Mas d'Azil", B.S.H.P.F., p. 75-114 (repris à la fin du volume L'Arise, p. 259-352). "Histoire de France au XVIe siècle" (compte-rendu de l'oeuvre de Jules Michelet), ibid., p. 232-244

1857 (décembre) Rencontre avec Michelet. Début d'une durable amitié

1860 Les Réformateurs de la France et de l'Italie au XIIe siècle, Paris, Meyrueis

vers 1860 Excursion-pèlerinage au château de Montségur. Récit dans Mme N. Peyrat, À travers le Moyen Age, Paris, Grassart, 1865

1861 Béranger et Lamennais, Correspondance, entretiens et souvenirs, Paris, Meyrueis

1862 Inauguration du temple de Saint-Germain-en-Laye, élevé à son instigation

1863 L'Arise, romancero religieux, héroïque et pastoral des Pyrénées, Paris, Meyrueis

1866 Mort de sa fille Adeline. Allocution prononcée par le pasteur Napoléon Peyrat dans l'Église de Saint-Germain-en-Laye, le 4 avril 1866, aux funérailles de sa fille Adeline, Saint-Germain-en-Laye, imprimerie Toinon

1868 Le Colloque de Poissy et les Conférences de Saint-Germain en 1561, Paris, Grassart

1870 Préface à Mme N. Peyrat, Autour de nous et en nous-mêmes (2): Fantômes et réalités, Paris, Grassart

1870 Témoin du siège de Paris par les Allemands. Tient un journal, conservé aux Archives Départementales des Yvelines (des extraits sont publiés dans le présent volume)

1870-1872 Histoire des Albigeois. Les Albigeois et l'Inquisition, Paris, Lacroix-Verboeckhoven, 3 volumes. Réédition Lacour, Nîmes, 1996

1873 Rédaction d'une Chronique de l'Église de Saint-Germain-en-Laye, restée inédite (archives de la paroisse protestante de Saint-Germain-en-Laye)

1874 La grotte d'Azil, précédée d'une Notice sur Siméon Pécontal, Paris, Grassart

1876 Parraine le groupe naissant des Félibres rouges (L.-X. de Ricard, A. Fourès). Rédaction de ses "Mémoires inédits"; publication posthume par les soins de L.-X. de Ricard, dans Lou Lengadoucian, Toulouse, n° 6 à 12, 1892

1877 Admission dans le Félibrige (Languedoc)

1877 Les Pyrénées, romancero, Paris, Grassart. Réédition de la "Préface" (p. I-XVI) dans Louis Guiraud, Au sujet des félibres rouges. Quelques documents, Nîmes, Bene, 1991. Réédition partielle des trois recueils de poésie (L'Arise, La grotte d'Azil, Les Pyrénées) dans une Anthologie poétique, Lacour, Nîmes, 1998

1878 "Le Mas d'Azil depuis le siège de 1625 jusqu'à la Révocation" et "Le Mas d'Azil depuis la révocation de l'édit de Nantes juqu'à la fin du règne de Louis XIV (1685-1715)", B.S.H.P.F., pp. 145-154, 337-346, 385-392

1880-1882 Histoire des Albigeois, La civilisation romane et La croisade, Paris, Fischbacher, 2 volumes (partiellement posthume). Réédition Lacour, Nîmes, 1998

1881 (4 avril) Mort et ensevelissement de N. Peyrat à Saint-Germain-en-Laye

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