Jean Maitron

et les camisards

 
"Au total une œuvre sans précédent, le plus grand dictionnaire biographique en langue française. Le thème s'y prêtait : un mouvement durable, puissant, profond, riche, divers. Mais finalement un mouvement minoritaire, régulièrement atteint par la répression, un mouvement de victimes plus que de vainqueurs. Nous tenons peut-être là une des sources de l¹inspiration de Jean Maitron. D'autres minorités ont eu la tentation de sauvegarder leur mémoire en multipliant les biographies et en dressant des listes. Les protestants par exemple. Dès le milieu du XIXe siècle la France protestante consacrait ses notices aux protestants marquants et nommait ceux qui avaient été condamnés au bagne . Le Musée du Désert leur consacra une salle entière,avec un grand mur sur lequel sont inscrits les noms de près de 5000 protestants condamnés aux galères, avec des précisions sur leur état civil
et leur peine qui font penser aux courtes notices que le fondateur du Dictionnaire consacra aux condamnés de la Commune.

Citons deux cas :
- Agulhon (Antoine), de Salgas en Racoules, diocèse de Mende, peigneur de
laine, 36 ans ; condamné à Montpellier pour assemblée pieuse en 1694. Sur le
Fortune à Marseille, en 1698, puis sur l¹Emeraude n° 18560. Libéré en 1713
et retiré à Glaris
- AGUILHON Octave.
Né à Mirebeau-en-Poitou (Vienne) le 26 janvier 1853 ; célibataire. Il fut,
après la Commune, condamné le 20 décembre 1871, par le 19e conseil de guerre
à la déportation simple ; amnistié, il rentra en France par le Tage.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/846. < Arch. PPo, listes d¹amnistiés.
Quel rapport entre le libre penseur Jean Maitron et le Musée du Désert, haut
lieu de la mémoire protestante ? Sa femme, Marcelle Gourdon était née dans
une famille protestante qui comptait parmi ses ancêtres le chef camisard
Rolland. C'est dans et autour de l¹ancienne maison de celui-ci que fut créé
le Musée du Désert bien connu du couple Maitron. Sans doute le directeur du
Dictionnaire a-t-il senti la revanche que représentait l'affichage de ces
milliers de noms. Les persécutions avaient pu les priver de leur métier, les
éloigner de leur famille, leur retirer la liberté, leur infliger un dur
traitement, elles n'avaient pas pu effacer leur nom. Les renseignements
administratifs qui marquaient leur condamnation ont paradoxalement permis la
réalisation de ce livre d'or.

L'entreprise de Jean Maitron part de cette même volonté de détourner l'information policière et administrative de sa vocation répressive, d'en extraire ce qui témoigne d'un être et d'une action : des noms, des dates, des lieux. Et si rien ne permet d'aller plus loin de la livrer comme cela, brute, forte, émouvante même si l'on sait que ce sera une des rares traces
de ce fusillé, de ce déporté de la Commune, de ce meneur de grève". ......

Extrait d'un article paru dans Autrement "Nom et prénom" : "Du fichier au livre d'or".

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