Die Kamisarden

sous la direction de Chrystel Bernat

Chers collègues, amies et amis,

Je me permets de vous signaler la parution d'un recueil d'articles sur la
révolte des Camisards qui, bien qu'il soit publié en langue allemande,
pourrait être susceptible de vous intéresser, ne serait-ce que pour
compléter votre propre documentation ou celle de la bibliothèque de votre
établissement. Mon élève et collaboratrice Chrystel Bernat a bien voulu se
charger de la direction de cet ouvrage, préfacé par Philippe Joutard, que
j'ai traduit à partir de textes inédits :

Chrystel Bernat (dir.)
Die Kamisarden
Eine Aufsatzsammlung zur Geschichte des Krieges in den Cevennen (1702-1710)
Mit einem Vorwort von Philippe Joutard
Aus dem Französischen übertragen von Eckart Birnstiel
Bad Karlshafen 2003
[Geschichtsblätter der Deutschen Hugenotten-Gesellschaft, Bd.36]
ISBN 3-930481-16-2

Adresse de commande:
Verlag der Deutschen Hugenotten-Gesellschaft
Hafenplatz 9a
D - 34385 BAD KARLSHAFEN
dhgev@t-online.de
297 pages, 19,80 euros

Avec des contributions de: Philippe Joutard (Paris), Chrystel Bernat
(Montpellier), Emmanuelle Carpuat (Toulouse), Sophie Bazalgette (Toulouse),
Éric Teyssier (Nîmes), Françoise Moreil (Avignon), Fabienne Chamayou
(Biarritz), Philippe Serisier (Orléans), Patrick Cabanel (Toulouse). - Le
volume contient en outre les fac-similés de deux pamphlets de l'époque
(bilingue français/allemand) ainsi que des index des personnes et lieux
cités

Bonne lecture pour tous ceux d'entre vous qui lisent l'allemand !

Sincèrement le vôtre,

Eckart Birnstiel
Université de Toulouse II - Le Mirail

Introduction en français de cet ouvrage

Chers amis,
L'ouvrage collectif, Die Kamisarden, consacré à la Révolte des Camisards vient tout récemment de paraître. Je souhaitais que les lecteurs attentifs au sujet et les internautes fidèles au site puissent avoir un aperçu des thèmes évoqués dans ce recueil qui rompt, pour le public allemand, avec plusieurs décennies de silence historiographique outre-Rhin. C'est la raison pour laquelle, vous pourrez trouver en langue française l'introduction de cet ouvrage édité en langue allemande que j'ai eu l'extrême plaisir de diriger, et pour lequel je tiens une nouvelle fois à remercier tous les contribuants, et singulièrement le principal artisan de ce recueil, Monsieur Eckart Birnstiel, qui a redonné par son travail de traduction, pleinement sens aux dimensions fondamentalement européennes de cette histoire qui reste encore à partager.

 

L'année 2002 ne marque pas seulement la commémoration du tricentenaire du début de la guerre des Cévennes, mais couronne aussi trois cents ans d'historiographie camisarde. Une historiographie qui est marquée par les vicissitudes d'un XVIIIe siècle dédaigneux et d'un premier XIXe siècle méprisant à l'encontre des insurgés cévenols, que viendront tardivement contrecarrer les réhabilitations romanesque et historique des années 1840. Lorsque s'amorce, dans les premières décennies du XXesiècle, une histoire plus scientifique de l'insurrection camisarde, la révolte porte encore les stigmates d'âpres querelles historiographiques entre auteurs catholiques et auteurs protestants (1) , et il faudra encore plus d'un demi-siècle pour voir poindre l'avènement d'une histoire plus œcuménique. Dégagée des passions les plus vives, chantée par la littérature et continuellement enrichie de nombreux travaux de recherches, la révolte des Camisards semblait donc pouvoir regagner, à l'aube du XXIe siècle, le rang des histoires bien connues. Pourtant, ni révolte populaire classique, ni guerre de Religion traditionnelle, la révolte des Camisards continue de fasciner les chercheurs dont les études restituent progressivement la complexité du conflit en décelant, au cœur de l'insurrection strictement camisarde, le champ autrement plus noueux de la guerre des Cévennes (2) .
L'originalité de la guerre des Cévennes ne repose donc pas seulement sur la singularité de l'archétype insurrectionnel (3) , mais également sur la singularité de l'écriture de son histoire et son support mémoriel (4) . Singularité d'une histoire dont témoignent tout à la fois le riche passif historiographique, la nature durablement controversée des études, et l'intérêt historique tenace en faveur du sujet. Si l'abondance des publications consacrées à la révolte depuis près de trois siècles interdit d'entreprendre ici une étude exhaustive de l'historiographie, dont Patrick Cabanel rappelle par ailleurs dans sa postface les principaux ouvrages marquants de son évolution, les grandes tendances qui ont présidé à l'écriture de l'histoire de la guerre des Cévennes peuvent toutefois en être esquissées (5) .
Retenons qu'avant de bénéficier de l'aura actuelle et de symboliser la lutte pour l'obtention de la liberté de conscience, l'insurrection cévenole pâtit d'une histoire catholique qui l'ancra et la maintint, dès son entrée en histoire au XVIIIe siècle (6) et jusqu'à la première moitié du XIXe siècle, dans les sphères calomnieuses et blâmables de la subversion et du déloyalisme, de la criminalité et de la supercherie, thèmes répréhensibles auxquels le passé prophétique et la violence des affrontements fournirent une abondante matière, longtemps utile aux détracteurs des Camisards. Malgré quelques nuances au tableau (7) , ce désaveu historique fut d'autant plus net qu'il ne procédait pas exclusivement des auteurs catholiques, mais également du mépris des hommes éclairés (8) et de l'opinion protestante divisée qui, embarrassée par l'aspect séditieux et féroce de la résistance armée, et hostile aux pratiques prophétiques, cherchait à se distancier des révoltés cévenols (9) .
Le processus de réhabilitation de l'épopée cévenole naquit en grande partie de la fortune littéraire du thème camisard dans laquelle puisèrent abondamment, dès l'amorce du XIXe siècle, écrivains, dramaturges ou romanciers (10) . En Allemagne, le baron de Sinclair devait publier, en 1806, une tragédie en trois parties sur la révolte des Camisards (11) qui, peu après, servit de source d'inspiration au roman de Ludwig Tieck (12) "le tumulte dans les Cévennes" (13) . De ces premières ruptures sensibles entre portrait camisard historique et portrait littéraire des révoltés, se distinguent la biographie romanesque d'Eugène Sue (14) et l'œuvre érudite de Napoléon Peyrat (15) qui, au milieu du siècle, éveillent l'admiration et forcent la reconnaissance de ces résistants pour la foi auxquels les historiens n'avaient accordé initialement que peu d'intérêt (16) . En révélant l'attrait de ces adversaires du despotisme louis quatorzien et en présentant l'insurrection camisarde comme la tête lointaine de la Révolution de 1789, Sue et Peyrat ouvraient la voie d'un bouleversement historiographique porté par le courant d'œuvres militantes aux accents libéraux et anticléricaux (17) . La légitimité accordée aux Camisards, pour s'être heurtée à l'historiographie protestante longtemps rivée sur le désaveu (18) , n'en finit pas moins par gommer les réserves initiales des auteurs protestants et par remporter l'adhésion (19) . Durant la seconde moitié du XIXe siècle, période marquée par l'essor des publications (20) , littérature de vulgarisation et littérature savante s'accordent alors dans un "panégyrique camisard" (21) , d'où s'opère au XXe siècle la mutation de l'insurrection en épopée, au prix d'une certaine stagnation scientifique et d'une virulente riposte historiographique catholique (22) . C'est néanmoins en ce début de XXe siècle que s'amorce une transition vers une histoire scientifiquement plus rigoureuse des Camisards, notamment par un retour à l'exploitation critique des sources (23) qui permit progressivement d'extraire l'histoire de la guerre des Cévennes du légendaire, noir ou doré, en vue d'une histoire apaisée et sereine.
S'ouvre alors un climat propice à de nouvelles approches dont témoignent notamment les nouveaux champs d'études issus de travaux pluridisciplinaires entrepris ces trente dernières années: analyse des phases obscures de la guerre et des ramifications européennes (24) , démantèlement des ressorts de la tradition orale et des mécanismes de légende (25) , dissection du discours et de la gestuelle prophétiques (26) , identification affinée des protagonistes de la révolte (27) , études de l'empreinte catholique sur le théâtre de la guerre (28) , décryptage théologique du discours camisard (29) , autant de thèmes de recherches nouveaux, dynamisés par de récentes éditions ou rééditions critiques de sources (30) qui ajoutent aux travaux actuels la connaissance des mécanismes d'écriture qui ont présidé à la rédaction des textes majeurs.
Mais on l'aura compris, l'originalité de l'histoire de la guerre des Cévennes ne provient pas seulement de ses tribulations historiographiques ni du seul foisonnement d'études qu'elle suscita et qu'elle continue de générer. L'originalité de cette histoire qui n'en finit pas de s'écrire réside dans la singulière attractivité du sujet dont témoigne son rayonnement hors des frontières, hors du temps, hors des strictes bornes de la discipline historique. Hors des frontières d'abord, parce qu'à bien des égards elle franchit les limites du royaume pour résonner sur le Vieux continent. Une dimension européenne qui provient tout à la fois des encouragements des zélateurs à la résistance armée, des intrigues et complots fomentés depuis les pays du Refuge, des soutiens financiers et des projets de débarquements anglo-hollandais en Languedoc, des phases de replis ou d'exils des Camisards à Londres, à Genève ou Jersey. Histoire provinciale aux dimensions européennes dont témoigne aussi l'écho prolongé de la guerre dans les gazettes de Berne, Bruxelles, Leyde, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, entretenu par un soutien éditorial à Berlin, en Angleterre, aux Pays-Bas, et plus marginalement en Italie, où paraissent pamphlets, récits des inspirés, mémoires camisards ou chroniques catholiques de l'insurrection (31) . Un débordement géographique qui se vérifie encore dans les pérégrinations tardives des French Prophets qui, partis des Cévennes pour gagner le Refuge britannique, entreprirent de 1711 à 1713 de continuer à porter la Parole de l'Esprit jusqu'aux confins de l'Europe, de Postdam à Vienne, de Stockholm à Prague, de Belgrade à Constantinople. Une histoire hors du temps, ensuite, que cette histoire de petits, officiellement vaincus, qui charrie depuis près de trois siècles hommes et pensées, bien en deçà du seul champ religieux et des thèmes du fanatisme obscur, pour n'avoir cessé de dynamiser l'idée de résistance et de liberté de conscience, pour avoir ouvert et aiguisé les débats sur la lutte non-violente ou nécessairement armée, pour avoir participé de l'idée de tolérance religieuse, en interrogeant les prérogatives d'hommes d'Église et les violences de la répression d'Etat, à la croisée des disciplines historiques, sociologiques, littéraires, et théologiques. Une histoire vive enfin, qui pour être abondamment étudiée, n'en continue pas moins de se maintenir hors du cercle restreint des hommes de plume pour subsister dans son berceau originel, au cœur de la mémoire des hommes des Cévennes.
Le présent recueil s'inscrit dans la perspective d'une meilleure intelligibilité de la révolte des Camisards et plus largement de cette guerre des Cévennes, qui est à saisir dans sa complexité par le biais d'une étude volontairement fragmentée et forcément fragmentaire. C'est là, je crois, que réside une des principales singularités de ce recueil dont la présentation de la révolte, pour en être le sujet central, n'en est pas l'unique finalité. Nul récit continu donc, mais une série d'articles puisant au cœur de nouveaux axes de recherches, à la croisée de l'étude des violences populaires et religieuses, des dynamiques insurrectionnelles et diasporiques. Nulle ambition de livrer l'histoire mais une histoire de la guerre des Cévennes dans ce qu'elle contient d'incongru ou de moins connu, sans pour autant en négliger les principales caractéristiques utiles à une approche d'ensemble. Mais ces dernières ne sont cependant qu'une façade classique pour une lecture renouvelée, parfois simplement complétée de la guerre, dans l'idée de conjuguer trame principale et interprétations novatrices ou affinées du conflit. Ainsi, le phénomène prophétique, le profil de la guerre, les personnalités d'envergures, les principales césures chronologiques y sont évoquées, mais au travers de ces repères fondamentaux apparaissent de nouvelles images des révoltés et de la guerre des Cévennes à la lueur des travaux les plus actuels et de textes, en majeure partie, inédits. Car l'ambition initiale fut bien d'offrir une variété d'approches brassant des notions généralement moins acquises au traitement de la guerre des Cévennes. Envisageable, cet exercice le fut par le riche passé historiographique de la révolte qui permit aux auteurs de s'affranchir parfois des données les plus unanimement admises pour décaler leur approche de la guerre sur des champs de réflexion moins traditionnels, par le biais de prismes moins attendus, avec ce que cela suppose aussi de limites.
Ainsi, du prophétisme initialement resitué dans son contexte et accompagné de son legs historiographique, Emmanuelle Carpuat dresse-t-elle un bilan des connaissances d'où point déjà la matière du renouveau sur le sujet et les rectifications au portrait de ces "figures énigmatiques" des prophètes, encore incomplètement saisies. De ces laïcs en rupture d'orthodoxie, étudiés par le biais principal de la répression judiciaire, Emmanuelle Carpuat, dans son article La Parole au service de la révolte. Prophètes et Camisards 1685-1715, en établit la terminologie, et leur distinction d'avec les prédicants, cerne leurs fonctions et leur rôle dans les rouages insurrectionnels de la guerre, saisie dans sa longue durée. Mais l'apport de ses recherches ne se limite pas à des corrections, ni même à de simples nuances. L'effort de quantification et de localisation, l'analyse du profil socio-économique des inspirés, celle de leur gestuelle, de leur discours, de même que la réévaluation du poids des manifestations physiques dans la dynamique répressive apportent conjointement de nouvelles précisions, qui pour être parfois en dissonance avec des données passées pour acquises, disent tout l'intérêt d'appréhender le phénomène par des problématiques variées, et particulièrement sous l'angle judiciaire.
À partir de ses tous récents travaux, Sophie Bazalgette reprend, dans son article La révolte des Camisards, les étapes charnières et les faits les plus marquants qui participent de la singularité de l'insurrection cévenole. Elle y intègre une géographie et une typologie de l'action armée, tout en discernant les ressorts des violences camisardes et le jeu des solidarités confessionnelles, approchant les objectifs, les cibles des rebelles et le visage de leurs adversaires; le tout au profit d'une présentation affinée de la première phase intensive de la guerre des Cévennes (1702-1704/5).
Françoise Moreil présente, dans sa contribution Basville et la guerre des Camisards: un duel mortel, un des personnages centraux de la répression royale aux prises avec les révoltés. Mais l'historienne ne s'attarde pas tant sur la gestion menée au cœur des années de guerre que sur le passif d'une lutte plus générale, engagée de longue date par l'intendant contre le protestantisme méridional. Par le biais d'un portrait saisissant de lucidité de Basville, fort éclairé du maintien et de l'enracinement de la foi protestante, Françoise Moreil offre donc les antécédents de l'affrontement ouvert. En évoquant les dispositifs pour contenir les nouveaux convertis et les stratégies mises en œuvre pour prévenir les désordres religieux de la province, l'auteur dit à la fois le zèle d'un représentant du roi auquel furent confrontés les protestants, et le caractère paroxystique de la révolte qui s'inscrit nécessairement dans un duel plus vaste que la crise armée. La guerre y est appréhendée bien sûr, de l'intérieur, et principalement par l'intermédiaire des relations entretenues dans la sphère répressive officielle, entre l'intendant du roi et les gouverneurs militaires successifs. Mais la singularité de l'approche de l'auteur se situe bien là, dans la dissection de ces préalables, autant que dans la présentation des mesures préventives futures de l'intendant qui permettent d'ancrer le conflit dans un champ autrement plus vaste que celui de la seule révolte armée.
Ma propre contribution, Les catholiques: un tiers-parti durant la guerre des Cévennes, évoque un pan comptant parmi les plus largement méconnus du conflit. Composante délaissée par l'historiographie, que charrie pourtant le torrent insurrectionnel des Cévennes, la mobilisation des catholiques civils amène à s'interroger sur la validité d'un triptyque insurrectionnel au sein de la guerre des Cévennes. Ces catholiques, Florentins dans les vallées de la Cèze et de l'Auzonnet, Partisans dans la Vaunage et Cadets dans l'Uzège, invitent en effet à revisiter les interprétations les plus traditionnelles de la guerre des Cévennes pour avoir constitué une tierce force souvent mal maîtrisée. Car, plus que de simples auxiliaires des autorités provinciales et plus que de simples pillards sans vergogne, ces catholiques suggèrent, par leurs ravages et leurs entorses réitérés à l'autorité administrative et militaire, de leur reconnaître une place proportionnelle aux dangers et aux menaces qu'ils occasionnèrent durant les troubles des Cévennes.
Dans son article Les Camisards dans le Refuge: poursuite de la révolte et chemins d'exil, Philippe Serisier s'attache au sort individuel et collectif des insurgés sortis du royaume après la phase de négociations ouverte en mai 1704, un sujet novateur jetant la révolte sur un échiquier diplomatique où se lit l'urgence royale à purger le royaume de ses éléments subversifs et le sort déjà incertain de ceux qui, soumis aux autorités, se voient promis à d'autres contrées. Partant des actes de redditions, Philippe Serisier pose la question centrale de la destinée de ces insurgés ayant déposé les armes, et à qui la monarchie, sans avoir accordé la liberté de conscience, n'exigea pas non plus d'eux leur conversion au catholicisme d'État. Dénouant les logiques qui présidèrent aux tractations, révélant les projets visant à détourner la vigueur des Camisards au profit des armées du roi alors en guerre contre l'Europe, l'auteur dépasse l'étude de la gestion conjoncturelle du problème camisard par la monarchie pour approcher le concept d'un Refuge camisard et en cerner ses spécificités. Au travers du périple des soumis, Philippe Serisier nuance l'image d'un Refuge connu pour avoir été essentiellement hostile aux rebelles cévenols. Mais en témoignant du sort singulier de cette double minorité de réfugiés; minorité au sein de la communauté protestante et minorité parmi les insurgés, l'auteur invite surtout à réévaluer la ténacité des exilés à poursuivre la lutte de leurs frères restés sur le théâtre de la guerre, tout en pourfendant l'idée d'une traîtrise dans le départ.
Fabienne Chamayou, dans sa contribution Les Cévennes et le Refuge britannique, donne à voir toute l'originalité de la position de l'Angleterre dont l'importance dans la fomentation des intrigues en faveur des Camisards tranche avec sa position secondaire de Refuge pour les protestants cévenols. Son étude des liens entre les Cévennes et le Refuge britannique, appréhendés notamment au travers des expériences singulières des chefs camisards exilés à Londres, invite à une lecture transversale des rôles respectifs de la guerre et du Refuge dans la dynamique des flux migratoires, le déroulement de la lutte camisarde et le profil des Réfugiés. Soulignant les ruptures consommées entre les French Prophets et l'Église française de Londres, dressant les portraits disparates des réfugiés, Fabienne Chamayou offre une synthèse des relations chaotiques entretenues par les Cévenols avec les sujets de la Couronne et les exilés de la Révocation, tout en cernant les huguenots ralliés à la cause camisarde.
En relatant l'ultime flambée de violences camisardes en Vivarais, Éric Teyssier, dans son article La fin de la guerre des Camisards, des dernières batailles à la mort des derniers combattants (1709-1711), témoigne des derniers épisodes de la guerre des Cévennes dont il met en exergue les différences fondamentales qui les distinguent des premiers temps de la guerre, le tout à la lueur de sources privées qui, il y a peu de temps encore, étaient inédites. Empruntant aux recherches doctorales d'Henri Bosc, l'auteur revisite, à l'appui d'une correspondance encore délaissée des historiens, la fin tragique d'un des chefs parmi les plus prestigieux de la révolte et celle du dernier camisard, dont la destinée singulière par son ralliement tardif ne témoigne pas moins du quotidien des derniers insurgés de la foi et de l'acharnement des autorités royales à extirper ce qui pouvait subsister de résistance protestante dans la province.
Notre ouvrage se clôt sur les réflexions de Patrick Cabanel qui propose un première synthèse des commémorations du tricentenaire de la révolte. J'en suis particulièrement ravie, car personne n'était plus à même que lui de l'envisager, non seulement pour avoir été, avec Philippe Joutard, le grand organisateur du principal colloque de la commémoration nationale, mais aussi l'artisan de la publication des actes qui résultèrent de ces journées de débats et d'échanges (32) . Dans sa contribution Autour du tricentenaire des Camisards (1702-2002): essai de premier bilan, Patrick Cabanel compare initialement les activités commémoratives des années 1802, 1902 et 2002, analyse qui permet d'ores et déjà de mieux saisir l'évolution de la constitution de la société française, et plus particulièrement celle du Protestantisme français. Avec la présentation des nouvelles problématiques et des récentes approches historiques concernant la guerre des Cévennes, l'historien met en exergue par le biais de ses réflexions sur la violence intimement liée à la révolte, ce que les commémorations, au-delà d'une simple évocation des événements passés, peuvent provoquer: une réflexion sur l'historicité de nos propres certitudes et modes de perception (33) .

Chrystel BERNAT
Université Paul Valéry, Montpellier III

(1) Philippe JOUTARD, La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977, chap.VIII: "Légende dorée contre légende noire", p.213-251; Bruno DUMONS, "À propos de la "légende noire" des camisards. Itinéraires et réseaux de polémistes catholiques du "Midi blanc"" in Patrick CABANEL, Philippe JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire (1702-2002). Colloque du Pont-de-Montvert des 25 et 26 juillet 2002, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002, p.185-200; Chrystel BERNAT, La mobilisation des catholiques pendant la guerre des Cévennes, 1702-1707, [Mémoire de DEA réalisé sous la direction de MM. Michel Taillefer et Eckart Birnstiel], Université de Toulouse II - Le Mirail, 1998, p.6-65.
(2) Philippe JOUTARD, "La légende des camisards au début du XXIe siècle: écriture d'un nouveau chapitre de la mémoire cévenole", in CABANEL, JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire…, p.271-278.
(3) Jean NICOLAS, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p.515.
(4) Le thème a été l'objet de la thèse pionnière en matière d'histoire orale de Philippe JOUTARD, Mythe et histoire des Camisards du XVIIIe siècle au XXe siecle: étude d'une sensibilité du passé [thèse Lettres], Université de Provence Aix-Marseille I, 1974; Marianne CARBONNIER-BURKARD, "La cachette et la Bible. La mémoire camisarde au Mas Soubeyran avant le Musée du Désert" et Pierre LAURENCE, "La mémoire orale du "temps des persécutions": enquêtes récentes en Vallée-Française, pays de Calberte et vallée de la Mimente", in CABANEL, JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire…, p.213-225 et p.257-269.
(5) Cette esquisse s'inspire amplement de l'analyse historiographique de Philippe Joutard dont sont ici restituées de façon synthétique les principales articulations: JOUTARD, La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977.
(6) R.P. Jean-Baptiste LOUVRELEUIL, Le fanatisme renouvelé où histoire des sacrilèges, des incendies, des meurtres & des autres attentats que les Calvinistes révoltés ont commis dans les Cévennes; & des châtiments qu'on en a faict, 3 t., Avignon, J.-C. Chastagnier, 1704; Jean-Baptiste LOUVRELEUIL, L'Obstination confondue ou suite du fanatisme renouvelé, c'est à dire de l'histoire des sacrilèges, des incendies, des meurtres & des autres attentats que les Calvinistes révoltés ont commis dans les Cévennes; & des châtiments qu'on en a faict, qui contient tout ce qui est arrivé en dernier lieu, depuis la fin de l'année 1704 jusqu'au mois de février 1706, Avignon 1706; David-Augustin BRUEYS, Histoire du Fanatisme de nostre temps où l'on voit les derniers troubles des Cévennes, t.3-4, Montpellier, J. Martel, 1713.
(7) Anonyme, Histoire des Camisards où l'on voit par quelles fausses maximes de politique et de religion la France a risqué sa ruine sous le règne de Louis XIV, 2 vol., Londres 1744; Angliviel de LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire de Madame de Maintenon et à celle du siècle passé, t.5, Amsterdam 1756; Antoine COURT, Histoire des troubles des Cévennes ou de la guerre des Camisards sous le règne de Louis le Grand, 3 vol., Villefranche, Pierre Chrétien, 1760.
(8) VOLTAIRE, Le siècle de Louis XIV, Paris, Garnier, 1947 [édition originale de 1751], p.185-190; D'ALEMBERT, Éloges lus dans les séances publiques de l'Académie française, Paris 1779, p.416-420.
(9) JOUTARD, La légende des Camisards…, p. 90-95, p117-124.
(10) PIGAULT-LEBRUN, A.-J. DUMANIANT, Les Calvinistes ou Villars à Nîmes, 1801. [Comédie historique en un acte]; Fanny REYBAUD, La Protestante ou les Cévennes au commencement du dix-huitième siècle, 3 vol., Paris 1828; Hernand ROSWALDE [pseudonyme d'Eugène THOMAS], Jean Cavalier, ou les Camisards et les Cadets de la Croix 1702-1704. Récits puisés dans des manuscrits authentiques et inédits, 6 t. en 1 vol., Paris, E. His, 1831; Théophile DINOCOURT, Le Camisard, 4 vol., Paris, Lecointe, 1833;
(11) John dit "Isaak" von Sinclair est surtout connu pour avoir été un proche ami de Hölderlin; en 1806, il publia sous le pseudonyme "Crisalin" [= anagramme de Sinclair] les tragédies "Der Anfang des Cevennenkriegs", "Der Gipfel des Cevennenkriegs" et "Das Ende des Cevennenkriegs"; à l'heure actuelle, seule la troisième partie a été traduite en français; cf. SINCLAIR, Isaak von, La fin de la Guerre des Cévennes. Drame romantique allemand (1806) [présentation, notes et traduction de Jean Carbonnier], Montpellier, Presses du Languedoc, 1993.
(12) Cf. Eckart BIRNSTIEL, "La guerre des Cévennes ou la naissance du roman historique allemand", in CABANEL, JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire…, p.155-169.
(13) Ludwig TIECK, Der Aufruhr in den Cevennen. Eine Novelle in vier Abschnitten. Erster und zweiter Abschnitt, Berlin, Reimer, 1826.
(14) Eugène SUE, Jean Cavalier ou les fanatiques des Cévennes, 2t. en 1 vol., Paris, Gosselin, 1840.
(15) Napoléon PEYRAT, Napoléon, Histoire des pasteurs du Désert depuis la Révocation de l'édit de Nantes jusqu'à la Révolution française, 1685-1789, 2 vol.,Valence: Marc Aurel frères, 1842.
(16) ANQUETIL, Histoire de France, t.XII, Paris 1805; Henri MARTIN, Histoire de France, t.V, Paris 1837; Abraham BORREL, Notice historique sur l'Église chrétienne réformée de Nismes, Nîmes 1837.
(17) Charles WEISS, Histoire des réfugiés protestants de France depuis la Révocation de l'édit de Nantes jusqu'à nos jours, Paris 1853; Jules MICHELET, Histoire de France, t.XIV, Paris 1861; Eugène BONNEMÈRE, Histoire des Camisards, Paris 1869.
(18) Charles COQUEREL, Histoire des Églises du Désert, t.I, Paris 1841; SISMONDI, Histoire des Français, t.XXVI, Paris 1841; Agénor de GASPARIN, Des tables tournantes, t.II, Paris 1854.
(19) Guillaume de FELICE, Histoire des Protestants de France, Paris 1850; Ernest ALBY, Histoire des Camisards, Paris 1857; HAAG, Eugène, HAAG, Émile, La France protestante ou Vies des Protestants Français qui se sont fait un nom dans l'histoire depuis les premiers temps de la Réformation jusqu'à la reconnaissance du principe de la liberté des cultes par l'Assemblée Nationale, 10 vol., Paris, Cherbuliez, 1846-1859. L'évolution favorable est très nettement sensible au fil des notices biographiques des chefs camisards et des années de parution, cf notamment t.I, III, VI.
(20) Notamment Émile ARBUS, De l'appréciation de l'histoire des Camisards, Strasbourg 1862; Gustave FROSTÉRUS, Les insurgés protestants sous Louis XIV, études et documents inédits, Paris, C. Reinwald, 1868; Jules CHAVANNES, "Les Prophètes protestants", Chrétien évangélique de Lausanne 1869; Frank PUAUX, Histoire populaire des Camisards, Toulouse, Société des Livres Religieux, 1873; Philippe CORBIÈRE, "La guerre des Camisards et ses historiens", Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français 25/1876, p.289-311; Jules VIELLES (éd.), Mémoires de Bonbonnoux, En Cévennes 1883; J.-Alfred PORRET, L'insurrection des Cévennes 1702-1704, Lausanne, Payot, 1885; Charles DARDIER, La Révolte des Camisards justifiée, Études de bibliographie et d'histoire, Nîmes, Bibliothèque de l'Union des catéchumènes, 1889.
(21) JOUTARD, La légende des Camisards…, p.216.-219.
(22)Alphonse DELACROIX, Histoire de Fléchier, évêque de Nîmes, d'après des documents originaux, Paris: L. Giraud, 1865; Jean-Baptiste COUDERC, Victimes des Camisards, récit, discussion, notices et documents, Paris: P. Téqui, 1904; J. ROUQUETTE, Une année de la guerre des camisards (juillet 1702-septembre 1703), Le Vigan, Impr. Rigal, 1905; J. ROUQUETTE., L'Abbé du Chayla et le clergé des Cévennes, 1700-1702, Saint-Amand, Impr. Bussière, 1906; Albert SOLANET, "Un épisode de la guerre des Camisards. L'abbé du Chaila. Sa mémoire" extrait des Études des 5 et 20 septembre 1913, p.620-636, p.738-761, Mende.
(23) La césure s'opère avec Charles BOST, Les pédicants protestants des Cévennes et du Bas Languedoc, 1684-1700, 2 vol., Paris, Honoré Champion, 1912, dans le sillon duquel s'inscrivent les travaux de Marcel Pin et d'Henri Bosc: Marcel PIN, Un chef Camisard, Nicolas Jouany, Montpellier, Librairie H. Barral, 1930; Marcel PIN, Jean Cavalier. 28 novembre 1681-17 mai 1740, Nîmes, Impr. Chastanier et Alméras, 1936; Henri BOSC, Un grand chef camisard Pierre Laporte dit Roland. 1680-1704, Mialet, Éd. Musée du Désert, 1954.
(24) Henri BOSC, La Guerre des Cévennes (1705-1710). D'après les Archives du dépôt de la Guerre à Vincennes, les correspondances et les mémoires du temps [thèse Lettres], Paris IV, 1973.
(25) Philippe JOUTARD, Mythe et histoire des Camisards du XVIIIe siècle au XXe siecle: étude d'une sensibilité du passé [thèse Lettres], Université de Provence Aix-Marseille I, 1974.
(26) Daniel VIDAL, L'Ablatif absolu, théorie du prophétisme, discours camisard, Paris, Anthropos, 1977; Daniel VIDAL, Le malheur et son prophète. Inspirés et sectaires en Languedoc calviniste, 1685-1725, Paris, Payot, 1983.
(27) Robert POUJOL, L'Abbé du Chaila, Bourreau ou Martyr? 1648-1702, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1986; Robert POUJOL, Basville roi solitaire du Languedoc, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1992; Pierre ROLLAND, Dictionnaire des Camisards. Préface de Philippe Joutard, Montpellier, Presses du Languedoc, 1995; Jean-Paul CHABROL, Élie Marion, le vagabond de Dieu 1678-1713. Prophétisme et millénarisme protestants en Europe à l'aube des Lumières. Préface de Philippe JOUTARD, Aix-en-Provence, Édisud, 1999.
(28) Richard BOUSIGES, Un village catholique pendant la guerre des camisards: Saint-Florent (1703-1705), Salindres, Librairie Occitane, 1995; Chrystel BERNAT, Une révolte et sa contre-révolte. L'action des catholiques pendant la guerre des Cévennes, 1702-1707, [Mémoire de Maîtrise réalisé sous la direction de M. Eckart Birnstiel], Université de Toulouse II - Le Mirail, 1997; Robert SAUZET, Les Cévennes catholiques. Histoire d'une fidélité XVIe - XXe siècle, Paris, Perrin, 2002; Robert SAUZET, "Les milices bourgeoises cévenoles pendant la guerre des camisards" et Chrystel BERNAT, "La guerre des Cévennes ou le clergé mis à l'épreuve" in CABANEL, JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire..., p.103-114 et p.85-101; Chrystel BERNAT, "La guerre des Cévennes (1702-1707). Camisards, catholiques civils et troupes royales: de l'affrontement bilatéral au triptyque insurrectionnel?", Études Théologiques et Religieuses 3/2002, p.359-383; Chrystel BERNAT, "La guerre des Cévennes: un conflit trilatéral?", Bull. SHPF 148/2002, p.461-507.
(29) Philippe de ROBERT, "Une guerre sainte? Les camisards et la tradition biblique" in CABANEL, JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire..., p.53-60.
(30) Grégoire VIDAL, Lettres et rapports sur la guerre des camisards (1702-1704), de Grégoire Vidal, prieur de Mialet. Introduction et notes de Bernard Atger, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1989; Daniel VIDAL (éd.), Fanatiques et insurgés du Vivarais et des Cévennes. Récits et lettres Esprit Fléchier 1689-1705, Grenoble, Jérôme Millon, 1996; Élie SALVAIRE, sieur de Cissalières. Relation sommaire des désordres commis par les Camisards des Cévennes. Présentation et notes de Didier Poton, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1997; Jean-Baptiste L'OUVRELEUL, Histoire du fanatisme renouvelé. Présentation et notes de Patrick Cabanel, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2001; Antoine COURT, Histoire des troubles des Cévennes ou de la guerre des Camisards sous le règne de Louis le Grand, Préface de Philippe Joutard. Édition critique réalisée par Patrick Cabanel, commentaires de Pauline Duley-Haour et Otto Selles, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002.
(31) Philippe JOUTARD, "Toute l'Europe derrière les Camisards!", L'Histoire 266/2002, p.72-76.
(32) Patrick CABANEL, Philippe JOUTARD (dir.), Les Camisards et leur mémoire (1702-2002). Colloque du Pont-de-Montvert des 25 et 26 juillet 2002, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002.
(33) Je remercie, au nom de tous les auteurs, Eckart Birnstiel d'avoir traduit intégralement cet ouvrage en allemand, en lui ayant ainsi apporté son inimitable style personnel.

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